Édito : Pollens, abeilles et compagnie

Marc-André Sélosse

Abeille butinant sur un Dahlia
© SNHF / David Lafarge

La fleur, entre hésitations et intrigues

Une fleur visitée par un insecte suggère l’harmonie : or, rien n’est plus tendu et hésitant que la floraison. La première question est celle du partenaire sexuel car la fleur est le lieu de la sexualité ; la seconde est celle du vecteur du pollen, ce qui entraîne maintes intrigues avec les insectes.

Le partenaire est, en apparence, inutile puisque la plupart des fleurs ont étamines et pistil. Mais le prix de l’autogamie, pratiquée par certaines, est celui de la consanguinité… Bien des fleurs ont donc des incompatibilités bloquant la germination de leur propre pollen et une fertilité mâle qui précède celle du pistil. Le prix de l’allogamie forcée est l’incertitude d’un partenaire : du pollen viendra-t-il à temps ? Au contraire, l’autofécondation est plus propice à une nombreuse descendance et évite les pertes de pollen à la dispersion. Diverses plantes adoptent des stratégies intermédiaires : les fleurs autogames s’entre-ouvrent, recueillant du pollen extérieur « au cas où » il y en ait ; les fleurs allogames peuvent s’autoféconder sur le tard, « au cas où » aucun visiteur n’a déplacé le pollen. Mais nulle stratégie ne maximise à la fois l’assurance de fécondation et le renouveau génétique pour la descendance !

Le choix du vecteur oppose l’efficacité au coût. Le vent est un vecteur assuré, qui n’implique que des fleurs simples. Mais le faible rendement de l’opération, véritable gaspillage aléatoire, exige beaucoup de pollen (les bronches des allergiques savent que ces pollens-là s’égarent souvent). Les insectes sont plus efficaces, allant de fleur en fleur, mais les appâter coûte en abondantes fragrances, larges corolles aux riches couleurs et nectar – autant d’énergie perdue pour les graines… De plus, les insectes peuvent se nourrir sans prélever le pollen : la construction de la fleur limite ce risque. L’alternance des pétales et des sépales, les corolles et les calices en tube, voire des dispositifs plus complexes obligent les insectes à se présenter face aux organes sexuels. Les fleurs penchées aux étamines et pistil saillants, unique crampon pour les insectes, obligent les visiteurs à frôler les organes sexuels, tout comme les étamines et pistil embarrassant le pétale d’atterrissage … Las ! Tubes percés, fleurs dévorées, insectes mangeant le pollen : rien n’est épargné aux fleurs. Et nulle stratégie ne maximise à la fois l’efficacité de la pollinisation et le coût !

Ainsi, perdues entre des solutions chacune problématique, qui toutes se valent finalement, les fleurs offrent-elle la palette de diversité qu’esquissent les pages suivantes… entre hésitations évolutives et intrigues avec les insectes.

 

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