Changement climatique : les écorces peuvent parler

Catherine Ducatillion

Mieux comprendre le phénomène de la chute des écorces des arbres en fonction des variations climatiques est une piste sérieuse qu’étudie l’Inra. L’institut vient de mettre en place une étude consistant à analyser un phénomène peu étudié jusqu’à présent : le lien entre la croissance du phelloderme, la partie se situant sous l’écorce de l’arbre, et les variations du climat méditerranéen. Catherine Ducatillion et Thierry Ameglio nous présentent ces travaux intitulés « Phénologie[1] des écorces ou Phénobark ». Ils devraient permettre de mieux suivre les conséquences du changement climatique en vue de mieux le gérer pour l’arboriculture fruitière ou forestière.

 

Eucalyptus dorrigoensis MYRTACEAE-  © C. Ducatillon

Eucalyptus dorrigoensis MYRTACEAE Eucalyptus dorrigoensis MYRTACEAE - © C. Ducatillon

 

Notre projet de recherche propose d’étudier le phénomène de chute d’écorce, en lien avec les variations environnementales, notamment la sécheresse, et les cycles de croissance des arbres en climat méditerranéen », explique Catherine Ducatillion précisant qu’il s’agit de suivre, en complément, la croissance radiale à l’aide de micro dendromètres.

 

La rythmicité de la chute des écorces est un phénomène encore mal connu. Ici, Arbutus X thuretiana ERICACEAE - © C. Ducatillon

La rythmicité de la chute des écorces est un phénomène encore mal connu. Ici, Arbutus X thuretiana ERICACEAE - © C. Ducatillon

Des cycles biologiques peu connus

L’adaptation des espèces ligneuses méditerranéennes à la canicule et à la sécheresse présente un intérêt particulier dans le cadre des études sur le changement climatique et ses conséquences pour l’arboriculture, qu’elle soit fruitière ou forestière. Les adaptations morphologiques qui permettent aux arbres de mieux gérer la forte demande climatique sont relativement bien connues, comme la réduction de la surface des feuilles, des épidermes épais, la présence de poils protecteurs,… Par contre, ce n’est pas vraiment le cas des cycles biologiques. Ceux des espèces méditerranéennes diffèrent de ceux des espèces plus tempérées, notamment par leur plasticité qui leur permet de moduler la réponse aux excès du climat : sécheresse et canicule estivale, températures hivernales relativement douces, mais pas toujours et, surtout, un climat très irrégulier d'une année à l'autre. La période estivale est la période de repos pour la plupart des plantes. L’arrivée automnale des pluies génère une reviviscence au moins aussi spectaculaire que l’explosion printanière. Si l’automne et l’hiver sont doux et humides, de nouveaux cycles de croissance peuvent s’exprimer : activation de la croissance continue ou débourrement, parfois nouvelle floraison.

 

Etudier la croissance radiale

L’Inra a mis en place une étude dont l’objectif est d’étudier la variation des contraintes hydriques et de la croissance radiale en fonction du climat et d’observer les liens éventuels avec le fonctionnement du phelloderme² chez des espèces dont l’écorce tombe brusquement. Certaines espèces d’arbres perdent en effet leur écorce de manière soudaine et régulière d’une année à l’autre. Ce phénomène bien visible pourrait servir de marqueur phénologique mais doit, au préalable, être explicité sur le plan physiologique. Est-ce un arrêt de croissance ou une reprise de croissance, une déshydratation, une réhydratation ? Pour cela il faut suivre la dynamique de croissance radiale au cours du temps (croissance cambiale et/ou phellodermique), en lien avec l’état hydrique du végétal et le climat.
 

PepiPiaf sur Eucalyptus dorrigoensis - © C. Ducatillon

PepiPiaf sur Eucalyptus dorrigoensis - © C. Ducatillon

PépiPiaf, le biocapteur

Un  « biocapteur », le PepiPiaf permet de mesurer très précisément, avec une sensibilité au micron près et en continu, les variations de diamètre d’un organe et de mémoriser les données (diamètre, température) sans perturber son fonctionnement, en utilisant une technologie sans fil. Ce système, aujourd'hui disponible et commercialisé par une Start-up du centre de l'INRA de Nancy, "Forest-Future", est installé sur des arbres du jardin botanique de la Villa Thuret, à Antibes. Les arbres et les taxons choisis ont en commun leur présence ancienne sur le site, leur bonne adaptation au climat méditerranéen et la chute régulière et brutale de leur écorce qui a lieu en fin de printemps, en été ou en fin d’été selon les espèces et les individus. Il s’agit d’espèces appartenant aux genres Arbutus, Corymbia et Eucalyptus. Les arbres équipés de PépiPiaf font également l’objet de suivis phénologiques hebdomadaires : caractères morphologiques classiques comme le débourrement, la floraison, la fructification ou la sénescence, et caractères plus originaux de l’écorce. Outre le suivi des arbres équipés de PépiPiaf, le dispositif comprend la mesure microdendrométrique classique d’une vingtaine d’arbres situés sur le même site. Les premiers résultats de ce nouveau « marqueur » sont escomptés au bout de deux ou trois ans minimum. Ils permettront, dans un premier temps, de compléter les connaissances déjà acquises sur les variations climatiques et les liens avec les caractères morphologiques cités ci-dessus. Mais l’étude doit se prolonger sur le long terme, seul moyen d’acquérir des connaissances précises pour une application pratique sur les productions forestières et fruitières.


Référence citée :

Améglio T., DUSOTOIT-COUCAUD A., GUILLOT V., COSTE D. et ADAM B., 2009 – PépiPIAF : une nouvelle génération de biocapteurs pour le pilotage d’une arboriculture de précision. 2ème Conférence sur l’entretien des espaces verts, jardins, gazons, forêts, zones aquatiques et autres zones non agricoles Angers, 28-29 octobre 2009
 


[1] La phénologie est l'étude de l'apparition d'événements périodiques (annuels le plus souvent) déterminée par les variations saisonnières du climat (ex. floraison, feuillaison, fructification, coloration des feuilles,…).

 


Le diamètre varie selon la température

Représentation graphique des enregistrements de variations de diamètres durant 5 jours obtenus à l’aide de PépiPIAF.

Représentation graphique des enregistrements de variations de diamètres durant 5 jours obtenus à l’aide de PépiPIAF.

 

La courbe bleue présente un arbre en croissance régulière. On peut noter chaque journée une contraction du diamètre d’environ 50 microns, contraction qui traduit l’utilisation des réserves hydriques de l’écorce pour alimenter la transpiration de l’arbre en fonction de la demande climatique, puis une récupération du niveau initial avec soit une croissance apparente traduisant un bon fonctionnement photosynthétique et hydrique, soit parfois une récupération partielle (perte de diamètre sur la journée), indiquant un stress hydrique, en particulier si la contraction du jour a été importante. La courbe rouge présente un arbre en stress hydrique modéré. On peut voir que la croissance est nulle, voire légèrement déficitaire (ex. le 16 juillet) et que les amplitudes de contractions sont beaucoup plus importantes (environ 150 microns). La pluie de la fin de journée du 17 juillet et du jour suivant permet de reconstituer les réserves en eau de l’écorce. On note une croissance apparente beaucoup plus forte chez les deux arbres.
 

Un eucalyptus acclimaté

Représentation graphique des enregistrements de variations de diamètres pour des arbres de la Villa Thuret

Représentation graphique des enregistrements de variations de diamètres pour des arbres de la Villa Thuret.

 

Le graphique présente un jeune individu d’Eucalyptus dorrigoensis durant le mois de décembre. On observe une croissance sur ces 9 jours de plus de 400 microns. Croissance très forte pour la saison, alors que les feuillus classiques de climat tempérés ont perdu leur feuille à cette époque et sont en arrêt complet de croissance jusqu’au débourrement du printemps. Cet eucalyptus est parfaitement acclimaté au climat méditerranéen et profite de cette période pour faire sa croissance alors qu’en été, il a tendance à perdre ses feuilles pour limiter la transpiration. On note également pour chaque journée une phase de contraction du diamètre, suivie d’une récupération traduisant l’utilisation des réserves hydriques de l’écorce pour alimenter la transpiration. L’amplitude de contraction varie selon les jours et la demande climatique dont on peut avoir une idée en regardant l’évolution des températures de l’air. Ainsi, la journée du 7 décembre, la contraction est faible et correspond à une faible amplitude thermique, alors que la journée précédente, pour une forte amplitude thermique, l’amplitude de contraction est beaucoup plus forte. Le suivi de ces variations de diamètres en continu donne ainsi des indications sur l’intensité de la transpiration de l’arbre et son état hydrique (amplitude de contraction) et sur ces capacités à faire de la croissance (photosynthèse) ainsi que les rythmes saisonniers.

 

Arbousiers - © C. Ducatillon

Arbousiers - © C. Ducatillon

Les arbousiers transpirent

Le suivi de diamètre des 2 arbousiers durant le mois d’août montre des arbres transpirant (amplitude de contraction chaque jour en fonction de la demande climatique). On peut voir une décroissance du diamètre durant tout le mois, décroissance qui traduit un déficit hydrique constant qui s’accroît au cours du temps et qui est compensé seulement de manière partielle par les pluies du 15 et 22 août. Ces deux arbousiers sont relativement bien adaptés au climat méditerranéen, car malgré le déficit hydrique visible (plus de 700 microns de perdus par rapport au diamètre initial), il continue de transpirer en fonction de la demande sans réguler leur perte et en récupérant très vite avec la moindre pluie. Ces graphiques illustrent bien tout le potentiel du suivi en continu des variations de diamètre. Le « biocapteur » PépiPIAF, système miniature autonome (225 jours avec une mesures toutes les 30 minutes) sans fil (téléchargement à distance jusqu’à 100 m par radio fréquence ou possibilités de réseau GSM) permet de s’affranchir des contraintes initiales de ce type de mesures et de suivre ainsi cette croissance dans des environnements divers et variés (arbre fruitier, forestier, urbain et industriel) et sur des sites difficiles d’accès ou exposés au public.

 

Représentation graphique des enregistrements de variations de diamètres et température pour deux arbousiers

Représentation graphique des enregistrements de variations de diamètres et température pour deux arbousiers.