Bienvenue aux auxiliaires dans le jardin

Elizabeth Rat-Morris

Favoriser l’activité des auxiliaires est une des actions majeures à mettre en œuvre au jardin. Il s’agit de “protéger les plantes” et, plutôt que “lutter” contre des “ennemis”, nous chercherons des “alliés”, pour agir avec la nature et pas contre elle.
 

Hyménoptère parasitoïde pondant dans une chenille de Piéride du chou

Hyménoptère parasitoïde pondant dans une chenille de Piéride du chou - © E. Rat-Morris


La protection des plantes s’inscrit dans la démarche globale de développement durable. Ses objectifs sont de protéger nos plantes, cultivées ou non, vis-à-vis des organismes bio-agresseurs, en respectant l’environnement biotique et abiotique, à un niveau de dégâts ou désagréments acceptable. Favoriser l’activité des auxiliaires est de l’intérêt commun de tous, jardiniers, agriculteurs, gestionnaires d’espaces verts, aménageurs du territoire. La recherche est nécessaire pour valider (ou invalider) l’expérience de terrain et les intuitions qui guident une bonne part des aménagements proposés, et pour trouver de nouvelles pistes pour une protection des plantes cohérente avec le développement durable.


Prédateurs et parasitoïdes

Nos auxiliaires pour la protection des plantes sont principalement des animaux prédateurs et parasitoïdes, des organismes entomopathogènes (champignons, bactéries, virus) et des  antagonistes d’agents phytopathogènes interviennent aussi. Par ailleurs, le jardin profite d’insectes pollinisateurs et d’organismes décomposeurs (recycleurs) auxiliaires qui ne seront pas abordés ici. Un prédateur est un animal qui poursuit et capture des proies vivantes pour s'en nourrir ou pour alimenter sa progéniture (ex. coccinelles, mésanges, hérissons). Certains prédateurs ne consomment pas les proies qu’ils capturent, ils les destinent à leurs larves  (ex. guêpes). Un parasitoïde est un insecte qui se développe sur ou dans un autre organisme (son hôte, en général un autre insecte), entraînant à terme la mort de celui-ci comme conséquence directe ou indirecte de son développement. Ce sont le plus souvent des Hyménoptères.
 


 Le gîte et le couvert

La stratégie la plus adaptée est la Protection biologique par conservation. En aménageant l’environnement, elle vise à préserver les auxiliaires présents dans l’agro-écosystème (ici le jardin) et à en augmenter la quantité  ainsi que la diversité, pour favoriser leur activité à notre profit. On parle alors de biodiversité fonctionnelle. Cet aménagement peut être complété par des lâchers ponctuels d’auxiliaires comme font les serristes. En agissant sur les chaînes trophiques, nous fournirons à nos auxiliaires “le gîte et le couvert”. Pour permettre l’installation et l‘acclimatation des auxiliaires, il faut prendre en compte l’ensemble des pratiques culturales et veiller particulièrement aux interventions de protection phytosanitaire.  Une simple pulvérisation d’eau peut tuer les hyménoptères qui contrôlent la prolifération des pucerons.
 


les relations entre les plantes et leur environnement

Relations entre les plantes et leur environnement

Des bases scientifiques

Comprendre les relations entre les plantes et leur environnement peut permettre d’agir en faveur des plantes. Le fonctionnement des chaînes trophiques et des interactions entre les différents protagonistes, ainsi que leur évolution dans le temps, sont abordés par différentes approches scientifiques. Avec l’étude de la biologie, de la dynamique des populations et de la génétique des populations, l’écologie chimique fournit des clés intéressantes pour comprendre les communications entre plantes/bioagresseurs/ennemis naturels des bioagresseurs. Elle permet de porter un regard sur la façon dont les plantes attirent ou repoussent les phytophages et dont les auxiliaires trouvent, via une messagerie chimique, les plantes et les proies ou hôtes qui permettent leur développement.

Défenses des plantes, interactions plantes/insectes et communication chimique: Les défenses des plantes sont constitutives et/ou induites. Les défenses constitutives font partie intégrante de la plante. Leur expression demeure constante indépendamment des facteurs environnementaux. Ces défenses peuvent être de nature physique (épines, trichomes, soies ou cires), et/ou chimique (par exemple les glucosinolates, hétérosides soufrés responsables de la saveur amère ou piquante chez les Brassicacées). Les défenses induites sont déclenchées en réponse à l’attaque d’un phytophage.En plus de ces mécanismes de défenses directes, les plantes peuvent exprimer des défenses indirectes en favorisant l’action des ennemis naturels des bioagresseurs phytophages. Pour cela, elles peuvent fournir à ces ennemis naturels – nos auxiliaires – des refuges physiques, des sources de nourriture complémentaires, ou des signaux chimiques volatils leur permettant de trouver plus efficacement leurs proies ou leurs hôtes. Les parasitoïdes sont capables de reconnaître de manière spécifique les composés émis par les plantes quand celles-ci sont attaquées par les phytophages. L’écologie chimique s’intéresse à ces communications chimiques complexes. Les jardiniers sont maintenant familiers des hormones, messagers chimiques à l’intérieur d’un organisme (ex. hormones de bouturage), et des phéromones, messagers chimiques d’un individu à un autre au sein d’une même espèce (ex. piégeage de papillons par phéromones sexuelles). Ils connaissent moins les substances allélochimiques qui permettent la communication entre des individus d'espèces différentes : les allomones confèrent l'avantage à l'espèce émettrice (ex. substances de défense), les kairomones confèrent l'avantage à l'espèce réceptrice (ex. attractifs alimentaires, stimulateurs de ponte). Les mécanismes de reconnaissance de la plante par l'insecte impliquent l’olfaction, le goût,  la vision, les organes  mécanorécepteurs, ainsi que la coïncidence spatio-temporelle des cycles (la réussite du rendez-vous). Celle-ci est principalement dépendante de la température pour tous les animaux sans régulation thermique (= poïkilothermes).



Les protecteurs du chou

Le voisinage de colza protège les choux contre les pucerons par attraction des parasitoïdes (Le Guigo, 2011).
Sur le terrain, le taux de parasitisme du puceron du chou Brevicoryne brassicae par l’hyménoptère Diaeretiella rapae est plus important sur les plants de choux quand ceux-ci sont entourés par des plants de colza, que sur une parcelle de composée uniquement de choux. Au laboratoire, les parasitoïdes choisissent préférentiellement les colzas voisins sains puis passent sur les choux infestés. Ainsi les colzas voisins protègent les choux contre les pucerons B. brassicae par attraction du parasitoïde spécialiste D. rapae.

Les défenses indirectes de Brassicacées contre la mouche du chou (Pierre, 2011).
Des expériences en olfactométrie montrent que le parasitoïde Trybliographa rapae, spécialiste de la mouche du chou Delia radicum, n’est pas attiré par les choux attaqués simultanément par la mouche du chou, ravageur des racines hôte du parasitoïde et par la piéride du chou Pieris brassicae, ravageur de feuilles, espèce non hôte. L’attaque simultanée par les espèces hôte et non hôte réduit l’efficacité du comportement de recherche du parasitoïde. Les essais de plein champ sur le brocoli Brassica oleracea, var italica montrent par ailleurs que les taux de parasitisme de D. radicum sont considérablement réduits sur les plantes attaquées simultanément par la mouche et la piéride du chou.

Ces exemples montrent la complexité des relations entre les différents niveaux trophiques. De telles études orientent cependant les choix pour l’aménagement du jardin.

Les interactions entre les chaînes tritrophiques et l’environnement sont l’objet de recherches dans l’UMR Bio3P (Agrocampus-Ouest). Les exemples ci-dessus sont tirés des thèses soutenues en décembre 2011 par Pauline Le Guigo et Prisca Pierre sur la chaîne “Brassicacées/ insectes phytophages/parasitoïdes”.

 

Un jardin accueillant

Accueillir les auxiliaires commence par le choix de plantes et abris. Le choix judicieux des plantes, et de leur association,  permet de fournir aux auxiliaires nourriture et habitat, tout au long de l’année afin de les attirer et de les maintenir. Des refuges leur fournissent un abri pendant l’hiver.
 

Le complexe Chrysoperla carnea

L’étude sur la dynamique des populations des espèces du complexe Chrysoperla carnea (Chrysope), réalisée par Johanna Villenave en 2006 pour sa thèse au laboratoire « protection Biologique Intégrée) de l’INHP (Agrocampus-Ouest) illustre bien les démarches conduisant au choix des végétaux. Par des inventaires floristiques et par l’analyse du contenu des tubes digestifs (identification des grains de pollens consommés et du miellat), elle montre que ces Chrysopes utilisent plusieurs types d’habitats pour leur cycle de vie.
- Les adultes de Chrysoperla affinis sortant de diapause apparaissent dans les agro-écosystèmes dès janvier et se nourrissent alors de pollen d’espèces arborescentes et arbustives.
- Les générations suivantes se nourrissent et pondent sur végétation basse, de juin à mi-août.
- A partir de septembre, elles commencent à se nourrir de miellat dans la végétation arborescente pour constituer leurs réserves lipidiques.
- A partir de novembre, les adultes diapausants migrent vers les sites d’hivernage (greniers, bûchers, boîtes d’hivernage…).
- En hiver, quelques individus sortent des sites d’hivernage et consomment le pollen des plantes fleurissant durant cette période. Chrysoperla lucasina présente à peu près les mêmes types de déplacements et de migrations, mais cette espèce est inféodée à la végétation basse


S’il est difficile de connaître les besoins alimentaires et les habitats de chaque espèce, miellat et pollen sont au menu de nombreux auxiliaires parasitoïdes, prédateurs et pollinisateurs : hyménoptères, mouches syrphidées aux larves prédatrices, chrysopes, et bien d’autres auxiliaires potentiels. Cela conduit à fournir tout au long de l’année des plantes fleuries dans les différentes strates, avec des associations végétales adaptées. En hiver par exemple, noisetier, lierre, laurier tin, bruyère, mercuriale procurent pollen et nectar. Le choix de variétés résistantes s’impose chaque fois que possible. La diversité des espèces est un atout, de même que la diversité au sein d’une même espèce végétale (plantes issues de semis plutôt que boutures pour les haies par exemple). On rejoint ici  les objectifs du maintien de la biodiversité.


Nichoir à mésanges - © E. Rat-Morris

Diversifier la végétation est important. Exemple du jardin de Gaston Allard à Angers - © E. Rat-Morris

1: Nichoir à mésanges / 2: Diversifier la végétation est important. Exemple du jardin de Gaston Allard à Angers - © E. Rat-Morris

 

Une organisation spatiale

L’organisation spatiale facilite la connexion entre les différents milieux dans le jardin et entre le jardin et son environnement. Pour chaque espèce, le paysage est caractérisé par la surface d’habitat disponible, la qualité de l’habitat, la connectivité ou l’isolement de cet habitat. La complexité accroît les interfaces possibles et donc augmente les opportunités d’interactions (positives ou négatives, de notre point de vue). Le jardin accueillant pour les auxiliaires doit allier zones refuges, complexité et connectivité. Il comporte, avec un choix de végétaux adaptés :
-Des refuges comme des tas de bois, des murets, des “maisons à insectes”, des nichoirs, mangeoires, abreuvoirs.
-Des haies dites “entomophiles”, alliant différentes strates de végétation
-Des zones enherbées en bordure des planches du potager, des bandes fleuries
-Des zones "d’herbes folles", plantes pouvant ailleurs paraître indésirables comme les orties, des gazons plus proches de la pelouse botanique que du terrain de golf
-Une diversité de plantes dans le potager et le jardin d’agrément.
Il est intéressant de laisser un part importante à la végétation indigène, à laquelle la faune locale est mieux adaptée qu’à des espèces exotiques. Les différents compartiments du jardin sont reliés par un continuum de végétation plutôt que séparés par un gazon ras ou des aires minéralisées.


Le jardin dans son environnement

Le jardin n’est pas isolé, la protection biologique intégrée doit et peut être gérée à l’échelle du territoire dans lequel se situe le jardin. Il faut créer et maintenir des liens, de jardin à jardin (haies mitoyennes, rues …), entre espaces verts et jardins (rues, cours d’eau, parcs, écoles …), entre zones urbaines et agricoles (routes, cours d’eau, haies …). Les ceintures vertes de villes permettent des actions en cohérence entre les exploitations agricole, les espaces verts et les jardins particuliers. Ces actions s’appuient sur une organisation de l’espace où l’aménageur et l’urbaniste doivent assurer une bonne connectivité,  évitant que les voies de circulations servent à séparer plus qu’à relier et donnant leur pleine importance aux liaisons végétales. C’est une mesure phare du Grenelle de l’environnement : la Trame verte et bleue qui porte aussi l’ambition d’enrayer le déclin de la biodiversité au travers de la préservation et de la restauration des continuités écologiques.
 

à lire

- Le Guigo P. 2011. Interactions tri trophiques entre les Brassicacées, des pucerons et un parasitoïde – Importance des plantes hôtes et des plantes voisines. Thèse l’UMR Bio3P - Agrocampus-Ouest – Angers, 156 p.
- Pierre P.S., 2011. Réponses induites des Brassicacées vis-à-vis de la Mouche du chou (Delia radicum L.) et interactions avec d’autres insectes associés. Thèse l’UMR Bio3P - Agrocampus-Ouest Rennes, 241 p.
- Villenave, J., Deutsch B., Lodé, T. & Rat-Morris, E., 2006. Pollens Preference of the Chrysoperla species (Neuroptera: Chrysopidae) occuring in the crop environment in western France. Eur. J. Entomol. 2006, 103
 

 



Cet article est une synthèse des réponses aux questions d'intérêt posées sur le service Hortiquid.
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