Au jardin, jouez les mycorhizes

Jean-François CoffinJean Garbaye

Les mycorhizes concernent de près le jardinier amateur. Sans mycorhize, son jardin serait bien pauvre. D’où l’importance de mieux connaître ce phénomène de symbiose afin de non seulement ne pas les détruire mais aussi de favoriser leur développement. Jean Garbaye, spécialiste du sujet à l’Inra de Nancy, nous rappelle le rôle des mycorhizes, comment les protéger et leur créer des conditions favorables dans nos jardins.

Lauréat au Concours national des jardins potagers 2012
Jardins de France : Après avoir longtemps été sous-estimées, voire ignorées, les mycorhizes connaissent un fort regain d’intérêt. Pouvez-vous déjà nous rappeler ce que sont ce que l’on entend par mycorhizes ?

Jean Garbaye : Les mycorhizes sont une association symbiotique contractée par les racines des végétaux avec certains champignons du sol. Ce sont des organes mixtes, racine-champignon, spécialisés dans l’exploitation des ressources du sol. Les champignons sont formés de filaments, lesquels sont à la fois dans le sol et à l’intérieur de la racine mycorhizée, assurant ainsi la communication entre le sol et la plante. Ces champignons mycorhiziens vivent en symbiose avec les racines des plantes, les uns ne pouvant se passer des autres. De son côté, la plante, grâce à ses parties aériennes, dont ses feuilles, utilise la photosynthèse pour fabriquer les sucres, éléments carbonés nutritifs vitaux. De leur côté, les champignons, qui ne voient pas la lumière et n’ont pas de chlorophylle, sont dépendants de la plante pour leur nourriture carbonée. Ils pompent sur les racines ces éléments nutritifs indispensables à leur vie.

 

JdF : Et qu’apportent en échange les champignons mycorhiziens à la plante, puisque vous parlez de symbiose ?

J.G. : En contrepartie, les champignons symbiotiques, par effet de bouclier, protègent les racines d’un certain nombre d’agressions de parasites telles les bactéries, voire d’autres champignons pathogènes. Ils rendent également assimilables des nutriments du sol qu’ils explorent avec leurs longs filaments et permettent ainsi à la plante de les absorber. Un élément important est aussi la protection des racines contre la dessiccation en cas de sécheresse car les champignons ont une capacité d’absorber l’eau présente en faible quantité. L’association champignon/plante constitue donc une véritable assurance pour la plante quand elle est confrontée à des attaques de parasites, à la sécheresse et à des problèmes d’absorption de nutriments.

 

JdF : On parle d’endomycorhizes et d’ectomycorhizes. Fonctionnent-elles sous le même schéma ?

J.G. : On dénombre sept types de symbioses mycorhiziennes, avec des mycorhizes dominantes comme les endomycorhizes qui concernent la quasi totalité des plantes herbacées et une grande partie des plantes ligneuses. Mais elles ne concernent pas les orchidées, les éricacées, les plantes dites de « terre de bruyère » qui ont leurs mycorhizes spécifiques. Les endomycorhizes sont les mycorhizes dont les filaments pénètrent à  l’intérieur des cellules de la racine. Le champignon symbiotique se ramifie très finement à l'intérieur des cellules, ce qui permet de développer une très grande capacité d'échange entre les deux partenaires.


JdF : Les champignons ectomycorhiziens, comme le laisse supposer leur nom, restent donc à l’extérieur des cellules végétales?

J.G. : En effet, les champignons ectomycorhiziens, s’ils colonisent bien les tissus racinaires, ne pénètrent pas dans les cellules de la plante. Ils forment une sorte de manchon de filaments autour des racines qui joue un rôle de protecteur, notamment vis-à-vis de certains pathogènes. On parle de « manteau fongique ».
Les fructifications de certains champignons ectomycorhiziens des arbres forestiers sont bien visibles à l’œil nu, pouvant avoir une grande dimension. Certaines sont aériennes comme les cèpes ou demeurent dans le sol comme les truffes. Ces dernières vivent en symbiose avec plusieurs ligneux comme les pins, les chênes, les hêtres. On commence à bien maîtriser leur production. Par exemple, des pépiniéristes proposent des plants de chênes dont les racines ont été mycorhizées par la truffe, dans le but d’obtenir des fructifications de truffes.
 

JdF : Vous avez évoqué la spécificité de certaines mycorhizes selon les végétaux. Pouvez-vous nous donner des exemples plus précis dans le cas d’un jardin ?

J.G. : Tous les végétaux ne sont pas égaux vis-à-vis de leur dépendance aux mycorhizes. Il y a des espèces de plantes particulièrement dépendantes de la symbiose mycorhizienne. Dans le cas du jardinage, c’est incontestablement le cas des aulx comme l’ail, l’oignon, le poireau, l’échalote. Leurs semis ne survivent pas du tout en absence de champignons endomycorhiziens. La carotte figure également parmi les espèces très dépendantes.
Par contre, il existe des exceptions où la symbiose mycorhizienne ne se manifeste pas. C’est le cas des Brassicacées (anciennement Crucifères), comme le chou, le navet ou le radis, les Chénopodiacées telles les betteraves ou les épinards et les Polygonacées comprenant l’oseille, la rhubarbe ou le sarrasin.

 

JdF : Le jardinier peut-il et doit-il favoriser la présence des champignons mycorhiziens?

J.G. : Il doit veiller avant tout à ne pas les détruire. Les pratiques culturales ne sont pas forcément favorables à l’expression optimale de la symbiose. Apporter massivement des engrais, répandre des fongicides à dose importante, entraînent un effet bénéfique immédiat pour la plante mais rompt un équilibre dans le sol et détruit les mycorhizes. Le travail du sol à outrance contribue aussi à leur destruction. Et l’effet assurance, à terme, est compromis. Il s’agit là de l’un des gros défis de l’agriculture biologique. L’apport massif d’intrants rend la plante dépendante, lui fait perdre ses capacités de tolérance et de résistance. Il faut être donc très parcimonieux lors de l’apport d’engrais, avec les produits de traitement et travailler le sol modérément.
 

JdF : Si le rôle des mycorhizes est si vital, pourquoi ne pas assurer une sécurité en les « ensemençant » ?

J.G. : Le jardinier peut être tenté d’ensemencer son sol avec des champignons endomycorhiziens sous forme d’inoculants commerciaux. Cela peut être extrêmement positif dans le cas où un jardin aurait perdu son potentiel mycorhizien. La carotte, que j’ai citée plus haut, réagit très positivement à toutes les mesures susceptibles d'augmenter le potentiel mycorhizogène du sol, dont l'inoculation. Plusieurs produits existent dans le commerce. Là aussi, il faut les utiliser de manière raisonnée, en suivant bien les instructions du fabricant. Mais rien ne dit a priori que le sol est en manque de mycorhizes.

 

JdF : Alors comment savoir si le sol de notre jardin développe une vie biologique intense et recèle un potentiel mycorhizien suffisant ?

J.G. : Si les plantes présentent des aspects de malnutrition, comme la décoloration des feuilles, des phénomènes de chlorose, plusieurs facteurs peuvent en être la cause comme une réelle pauvreté du sol en certains éléments ou la présence de maladies, voire une faible activité mycorhizienne. Avant d’ensemencer son sol en champignons mycorhiziens, il faut tout d’abord procéder à une analyse de terre qui déterminera les carences ou les excès en éléments minéraux. En cas de carence, le jardinier pourra alors effectuer un apport rectificatif en éléments manquants. L’idéal serait aussi de quantifier la présence de mycorhizes sur les racines et cela ne peut pas se faire visuellement, même avec une bonne loupe !  A ce jour, en France, une seule firme* assure cette prestation mais, dans l’avenir, l’analyse des mycorhizes sera aussi courante qu’une analyse de sol ! Tout cela dans un contexte où l’intérêt porté à la microbiologie des sols est entrain de devenir une révolution dans toute l’agriculture !

 

* L’entreprise MycAgroLab, située en côte d’Or : http://www.mycagrolab.com/

 

 

Propos recueillis par Jean-François Coffin

mars-avril 2013