André Leroy (1801-1875) « Savant botaniste et habile manufacturier »

Cristiana Oghina-Pavie

André Leroy (1801-1875), photographie (sans date) – ADML 34 Fi Fonds André Leroy

Le parcours d’André Leroy, sa position dans le monde horticole, ses écrits et le succès de son entreprise illustrent les liens forts qui s’établissent au XIXe siècle entre l’horticulture et la science.

« L’établissement horticole de M. André Leroy n’est pas seulement une maison de commerce de plantes sans rivale sur le continent, c’est aussi un établissement scientifique de premier ordre, une école de botanique appliquée d’un vaste développement, car à l’étude des genres et des espèces vient se joindre celle des variétés sans nombre obtenues par la culture[1]. »

Cette description souligne la double réputation, commerciale et scientifique, des pépinières d’André Leroy au milieu du XIXe siècle.

Des relations à l’étranger

Né le 30 août 1801, dans une famille de pépiniéristes, André Leroy est âgé de 8 ans à la mort de son père. Après des études au lycée d’Angers, le jeune André est envoyé par sa mère au Jardin des Plantes de Paris, auprès du professeur de culture André Thouin.

« Il lui rendit le plus inappréciable service, car il commença sa fortune en le mettant à même d’entendre chaque jour les plus doctes enseignements sur l’horticulture et d’étudier les arbres et les plantes dans les plus vastes et les plus riches collections[2] »

A. Leroy se familiarise avec la gestion des collections végétales et s’approprie l’esprit méthodique et critique qui préside l’enseignement de la botanique et celui des techniques de culture au Muséum. Il noue, pendant ces années des relations, avec des horticulteurs français et étrangers qui deviennent par la suite ses correspondants, amis et partenaires commerciaux. Les visites qu’il effectue ensuite en Angleterre, Hollande, Belgique, Suisse, Italie, etc., ainsi que la correspondance nourrie avec des pomologues et pépiniéristes étrangers attestent de l’impact décisif qu’à eu son séjour au Muséum sur son insertion dans les réseaux à la fois commerciaux et intellectuels les plus actifs de l’horticulture.

Une pépinière en pleine expansion

Les pépinières André Leroy, photographie (sans date) – ADML 34 Fi Fonds André Leroy

Sous sa direction, la pépinière familiale connaît une progression spectaculaire car elle s’étend sur 168 hectares et emploie 300 ouvriers. Cette évolution est le reflet de la croissance générale qu’enregistre le marché des produits horticoles, mais elle reste néanmoins exceptionnelle et situe la pépinière angevine parmi les établissements les plus grands d’Europe.

Année 1808 1815 1830 1840 1847 1865
Surface (ha) 2 4 15 30 75 168
Nombre d’employés 15 30 50 150 300

Tableau : Evolution de la surface et du nombre d’employés des pépinières André Leroy (Cf. Turgan, 1863)

Ce positionnement s’explique par la diversification des végétaux cultivés. Si la pépinière reste principalement spécialisée dans les arbres fruitiers (dont la culture occupe 110 hectares en 1865) les conifères et les espèces forestières, A. Leroy s’intéresse aussi à l’introduction dans la culture de végétaux qui étaient jusqu’alors rares, réservés aux collections prestigieuses ou à la culture sous serre. Il cherche, par exemple, les moyens techniques de multiplier en grand nombre les magnolias, ou de cultiver les camélias en plein air.

Ouverture vers l’Amérique

Il adjoint à la pépinière une activité de dessinateur de jardins et devient ainsi à la fois commanditaire et fournisseur de parcs publics (comme le jardin de la Préfecture et le jardin du Mail à Angers) ou privés, dans tout l’Ouest de la France. Un autre facteur décisif est lié à la conquête du marché américain, « lointain, mais neuf, inexploré, immense, ouvert à l’audace heureuse[3] ». A. Leroy envoie aux États-Unis, en 1849, un des ses contremaîtres, Baptiste Desportes. Quelques lettres entre Leroy et Desportes renseignent sur cette première expédition commerciale. On apprend que Vilmorin, ami d’A. Leroy, recommande Desportes à ses clients américains, priés de l’aider à nouer des contacts. A. Leroy, prudent, lui conseille de faire seulement connaissance avec les Américains, gagner leur confiance et ne pas s’aventurer à prendre des commandes trop ambitieuses. Mais Desportes prend une série d’initiatives qui dépassent les intentions de son patron. Une d’entre-elles s’avère particulièrement réussie : la traduction en anglais du catalogue de la maison Leroy :

Un catalogue en cinq langues

« Je ne te blâme pas d’avoir fait imprimer le catalogue en anglais, seulement tu aurais dû me demander avis avant de le faire. Tu ne m’as pas fait seulement connaître le chiffre qu’il  coûte. Tu dois penser que je me suis permis de rire lorsque tu me dis que tu es tout prêt de payer de tes deniers cette dépense. Je n’ai pas l’habitude de laisser payer pour moi les choses utiles à ma maison[4]. »

Malgré sa réticence initiale, Leroy est rapidement convaincu de l’intérêt de ce marché qui sert de débouché aux arbres fruitiers et d’ornement déjà formés ainsi qu’aux jeunes plants et aux porte-greffes commandés par les pépinières qui sont en cours d’installation dans le nord des États-Unis. En 1855, le Catalogue général descriptif et raisonné de la pépinière est imprimé en français, anglais, allemand, italien et espagnol pour accompagner la conquête d’autres marchés, profitant d’un nouvel élan donné par l’arrivée du chemin de fer à Angers et par la grande époque de la plantation des espaces verts dans les villes françaises et européennes.

Spécialisation solide en pomologie

Investi très tôt dans la vie des sociétés savantes angevines et nationales, André Leroy se fait également connaitre par les notices et les mémoires qu’il publie dans les revues horticoles. S’il s’intéresse à la propagation végétative et aux techniques de culture de divers végétaux, sa  renommée est fondée plus particulièrement sur sa spécialisation précoce et solide dans la pomologie.

Les visiteurs de sa pépinière décrivent une collection d’arbres fruitiers dans laquelle il réunit, à partir de 1830, environ 3 000 variétés de poiriers, pommiers, cerisiers, pruniers, pêchers et vignes. Cette collection, organisée sur le modèle de l’École fruitière du Muséum, remplit plusieurs fonctions. Elle sert à évaluer les qualités des variétés proposées à la vente, à garantir leur identité et à comparer les variétés nouvelles avec celles déjà connues. Les collections sont ainsi utilisées comme un fort argument de la qualité des végétaux commercialisés, « une garantie d’ordre et de notions précises, parce qu’on peut toujours, en cas de doute, recourir à des types certains ». En sa qualité de membre, puis de président du Comice horticole d’Angers, André Leroy introduit dans cette collection les nouveautés obtenues dans le jardin fruitier de cette société, les multiplie et assure ainsi leur diffusion. Enfin, la collection est le support indispensable d’une grande entreprise d’observation et de description des variétés fruitières à laquelle André Leroy s’adonne pendant plusieurs décennies, pour aboutir à la rédaction d’un Dictionnaire de pomologie, en 6 volumes, publiés à partir de 1867. Les trois derniers volumes, posthumes, sont réalisés par Bonneserre de Saint-Denis qui prend le soin d’y adjoindre la liste des ouvrages de la bibliothèque pomologique d’A. Leroy. En effet, au-delà de la description des fruits, ce dictionnaire est également une œuvre d’érudition, comportant le fruit des recherches minutieuses sur l’origine de chaque variété, ses synonymes et ses usages.

Un notable

Fortune, culture, relations familiales confèrent à André Leroy un statut social de notable, que viennent appuyer son élection pendant 20 ans au Conseil municipal d’Angers, la croix de la Légion d’honneur qui lui est attribuée 1855, ainsi que les médailles obtenues dans les expositions horticoles. Cela renforce sa réputation de « savant botaniste et habile manufacturier[5] » qui fait d’André Leroy, jusqu’à nos jours, la figure emblématique de l’horticulture angevine.

[1] Aristide Dupuis, « Une visite aux pépinières de M. André Leroy à Angers », Extrait du journal La Patrie, 1865.

[2] A. Lachèse, « André Leroy et ses pépinières », extrait des Mémoires de la société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, 1875, p. 118-123.

[3] Idem, p. 123

[4] Lettre d’André Leroy à Baptiste Desportes, le 13 août 1849, Archives départementales de Maine-et-Loire, 165 J 42, Fonds de la Société des pépinières Levavasseur.

[5] Turgan, Les grandes usines de France, Pépinières d’André Leroy à Angers, Paris 1863, p.16.

 

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